Je suis désolé de laisser le sentiment de vous “délaisser” chers lecteurs. Malgré de nombreux billets en préparation, je ne poste pas beaucoup ces derniers temps. Je suis toujours partagé entre le sentiment de l’inutilité de la bouteille à la mer et l’utopie que si ce que j’écris sert à au moins UNE personne, j’aurais fait ce que je pouvais devais. L’actualité est tellement riche en enseignements de tout ordre que je ne sais par où commencer. Peut être par cet édito de Coline Renault, publié dans le Charlie Hebdo de ce jour (20 Juillet 2023).
Oui ces prochains billets, plutôt que de vous parler de technologie, d’Internet, de la bourse, d’Entreprenariat, j’ai plus envie de conserver trace de faits de société. Du temps qui passe. Des questions fondamentales qui se posent à nous lorsque l’on fait taire le bruit médiatique qui travaille à détourner notre regarde de l’essentiel.
Aussi je me permets de reproduire l’édito de Charlie Hebdo sur mon blog. J’espère que les “ayants-droit” ne m’en voudront pas. Que cela ne vous empêche pas d’acheter le journal. Je ne veux juste pas que ce texte se perde. En effet, ce sujet m’est important. Si pour certains, le niveau de civilisation d’une société se mesure à son niveau d’ensauvagement, pour reprendre un terme à la mode, pour moi, l’avancée d’une société se détermine à comment elle traite ses jeunes et ses vieux. Je dis volontairement vieux, ceux qui me lisent savent pourquoi. Ancien est trop péjoratif. Vieux, comme Jeune est le bon mot et me rappelle toujours la chanson des Vieux Amants de Jacques Brel. Une Chanson, avec un C majuscule qui me procure toujours beaucoup d’émotions.
Plus on avance en age, plus on vit l’inéluctable. On vit la baisse de vitalité de nos parents, la maladie, les douleurs … que l’on commence aussi soit même à ressentir. On comprend mieux. On s’agaçait avant de ces “vieux” qui se plaignaient toujours de quelque chose. On se rend compte qu’avec l’âge, il est des douleurs dans les os, dans les articulations, ailleurs qui ne nous quittent plus.
Et puis on est confronté au “système“, bien sûr, dont on connait les limites. On rencontre des gens très bien … et des pourritures. Et tout ceci nous amène à plus de recul.
Si on avait plus jeune des positions dogmatiques sur tout, on commence à mettre de l’eau dans notre vin, comme on dit. A mieux comprendre l’autre et peut être les admettre. Le vieux. Celui qui ne marche pas assez vite. Celui qui rale sur tout. Celui qui a trop de temps et ne sait pas l’utiliser. Celui dont son centre de préoccupation nous semble dérisoire. Celui qui a trop d’argent sans rien faire. Celui que l’on rêve de taxer encore plus. Celui qui a peur de tout, du lendemain, de l’autre, de l’ailleurs.
On ne comprend pas d’ailleurs pourquoi ils sont si attachés à leur quartier, leur maison, leur appartement, leur pièce. Tout ceci les rassure dans un mode qui semble se dérober sous leurs pieds et auquel ils ne trouvent plus beaucoup d’intérêt. Nous les enfants, on ne comprend pas. On passe … pas le temps. Jamais le temps.
Et un jour il n’y a plus de temps. Trop tard …
Et un jour on comprend même que la société n’est pas adaptée à ces vieux … improductifs, donc à ses jeunes aussi. Les vieux sont les canaris dans la mine des jeunes dont on ce cesse de parler pour se rassurer d’un futur incertains. La société passe. Elle n’a pas le temps. Toujours plus vite, toujours plus.
Et on se confronte au système de santé … et c’est la catastrophe. La réalité est difficile. Trop vieux pour rester à l’hôpital, trop longtemps. Mais trop vieux pour rester à la maison. Et c’est la découverte des SSR, des SMR. Les pseudo cliniques de soins Médicaux et de réadaptation où il faut faire des pieds et des mains pour y entrer … mais aussi pour en sortir vivant.
Au début on ne connait pas. On ne s’y intéresse pas. Puis on est de plus en plus concerné, à mesure que le temps passe et que cela concerne des proches, de plus en plus proches. On perd d’abord ses artistes préférés, comme des morceaux de son passé qui se délite. Pour moi le choc a commencé avec Serge Gainsbourg, Coluche, Daniel Balavoine. Le coeur saigne, mais il ne part pas encore en morceau. Cela viendra bien trop vite, avec la perte de ses proches … proches. De plus en plus proches.
Et puis on entend les horreurs … les “vieux” inutiles, le choix des priorités. Choisir qui doit vivre, qui va mourir. Le Covid n’excuse pas tout. Et maintenant, les choses ont changé ? Pas pour moi, pas pour Coline Renault que je remercie de mettre en lumière ce qui peut sembler “dérisoire” pour certains :
copie de l’article paru sur Charlie Hebdo du 20 Juillet 2023
On n’est pas en bonne santé quand on a 80 ans. C’est en tout cas ce que considèrent les soignants, qui retardent souvent la prise en charge des personnes âgées et leur refusent les soins nécessaires. Comme si une vie, passé un certain âge, ne valait plus la peine d’être réparée…
Les malheurs d’Huguette, chapitre I. Nous sommes le 24 décembre 2021 et Huguette, 80 ans, souffre d’une douleur terrible à la jambe. Elle a développé il y a quelques années une leucémie qui n’évolue plus, mais qui l’a exposée à une forme grave de Covid-19, et l’a conduite, donc, à prendre des corticoïdes. Les urgences d’un grand hôpital public parisien lui font une radio, avant de la renvoyer chez elle. Le soir, le réveillon tourne court : les douleurs empirent, deviennent insupportables. Retour à l’hôpital, qui refuse toujours de la garder. « S’il n’y a rien, pourquoi marche-t-elle comme cela ? » interroge sa fille, Séverine. L’infirmier hausse les épaules. « Ah bon, elle n’est pas toujours comme cela ? Faudrait peut-être songer à un déambulateur, alors. »
La semaine passe, Séverine tanne les médecins pour réaliser un scanner. Ceux-ci objectent que c’est normal, à l’âge d’Huguette, d’avoir des douleurs. Si elle ne peut plus marcher, envoyez-la en Ehpad, répètent les soignants. Plusieurs semaines plus tard, le diagnostic tombe : ostéonécrose, liée à la prise des corticoïdes, qui nécessite une opération urgente. « Les médecins considéraient qu’à son âge il était normal d’avoir mal, de ne plus pouvoir marcher, de devenir dépendante. Ils n’ont pas voulu voir la pathologie »,tempête sa fille.
À l’hôpital, on refuse souvent aux seniors des soins adaptés. Obsolescence programmée : comme si, dans le fond, ils ne valaient pas la peine d’être réparés. « On les appelle les bed-blockers : les “bloqueurs de lit”. On pense que les personnes âgées ont plein de pathologies ou de problèmes sociaux à régler, qu’ils resteront des semaines à l’hôpital. Donc on tente de s’en débarrasser au plus vite », résume Cyril Hazif-Thomas, chef de service de l’intersecteur de psychiatrie de la personne âgée au CHRU de Brest et directeur de l’Espace de réflexion éthique de Bretagne (Ereb).
L’âge, une donnée relative
Il existe pourtant deux âges : l’âge fonctionnel et l’âge chronologique, qui ne sont pas toujours liés. Un quarantenaire qui souffre de polypathologies peut avoir un âge fonctionnel supérieur à celui d’une personne âgée plutôt en forme, or on offrira au premier des soins que l’on refuse à la seconde. « L’âgisme, c’est résumer une personne à son âge sans prendre en compte son état général, ou sa réponse antérieure aux traitements », poursuit Cyril Hazif-Thomas. Une histoire de hiérarchie des vies, également. « La représentation joue en leur défaveur : pour beaucoup, une personne âgée, d’autant plus si elle est dépendante ou souffre de troubles cognitifs, a une qualité de vie médiocre. Il vaut donc moins la peine de lui dédier du temps médical », déplore Romain Van Overloop, trésorier de l’Association des jeunes gériatres.
L’âgisme entraîne de sérieuses pertes de chance pour les malades, car on ne propose pas aux personnes âgées tous les traitements possibles. « Ils n’auront pas accès à la qualité de soin dont ils ont besoin. On va péjorativement assombrir le pronostic, et donc fermer l’éventail des possibilités thérapeutiques », ajoute Cyril Hazif-Thomas. En tant que président du comité d’éthique du CHRU de Brest, il observe la répartition des traitements très onéreux, non remboursés par la Sécurité sociale, à des patients en fonction de leur âge : ainsi, les vieux ne sont pas éligibles aux molécules les plus innovantes.
Faut-il encore qu’on leur propose tout simplement un traitement. Dans le cas d’un cancer du sein, la chimiothérapie est proposée à 99 % des moins de 55 ans. Chez les plus de 76 ans, le chiffre tombe à 60 %. « On part du principe que le traitement va être très mal supporté, ce qui est un stéréotype. Il faut prendre en compte les autres paramètres fonctionnels du patient, comme sa volonté, sa capacité à interagir au quotidien, sa forme physique, explique Sarah Schroyen, auteure d’une thèse sur la double stigmatisation des personnes âgées souffrant de cancer. On explique à une personne que le traitement ne vaut pas la peine, au regard du nombre d’années qui lui restent à vivre. Et souvent, les professionnels décident sans même lui laisser le choix. » Du côté de la prévention, c’est la même problématique. « L’assurance finance les dépistages jusqu’à 65 ans. Au-delà, on ne prévient plus, ce qui laisse évoluer les pathologies », affirme Cyril Hazif-Thomas. Aux États-Unis, le coût de l’âgisme a été évalué à 6 milliards d’euros par an.
Un système trop axé sur la rentabilité
Les malheurs d’Huguette, chapitre II. Six mois après sa première hospitalisation, Huguette subit une opération du col du fémur. Cinq jours après l’intervention, qui s’est plutôt bien déroulée, Séverine trouve sa mère quasi inconsciente, les yeux fixes, dans un état de grande confusion. Elle appelle l’infirmière, qui explique qu’un samedi, à 14 heures, il n’y a qu’un seul interne dans le service. Il passera plus tard, mais qu’elle ne s’inquiète pas, il arrive souvent que les personnes âgées soient un peu hagardes, sans urgence vitale. L’état d’Huguette se dégrade, elle ne répond plus aux questions. Une externe finit par passer, diagnostique un fécalome, qui engendre parfois chez les sujets âgés des états confusionnels. Les infirmières découvrent une couche pleine – ce qui prouve, justement, l’absence de fécalome. Les soignants s’inquiètent, mais s’excusent en expliquant que toutes les places en soins intensifs sont prises. À 19 heures, l’interne se rend dans la chambre. « Madame, madame, serrez-moi la main », répète-t-il, alarmé. Huguette ne répond plus : elle est tombée dans le coma. Aux soins intensifs, on lui diagnostique plusieurs infections, urinaire, rénale, pulmonaire… De nouveau, l’institution a estimé qu’il était normal, au regard de son âge, qu’Huguette perde un peu la tête, et qu’à 80 ans elle n’était de toute façon pas prioritaire pour la réanimation.
« Tout cela vient du fait que le système de santé est centré sur le progrès médical, or le vieillissement n’est pas une maladie. Le système n’est pas conçu pour prendre en charge des personnes âgées dans leur globalité. L’ophtalmologie est valorisée parce qu’elle engendre des prouesses technologiques, ce qui n’est pas le cas de la gériatrie », analyse Audrey Dufeu, ex-députée qui a porté la question de l’âgisme à l’Assemblée. Cyril Hazif-Thomas accuse également le système de tarification à l’acte. « Plus on fait d’actes, plus on est rentables, plus l’hôpital va avoir de recettes. Or la prise en charge des personnes âgées demande plus de temps, et plus de moyens humains. » Pour Audrey Dufeu, il s’agit d’abord de revaloriser les métiers du lien à l’hôpital : « Ce sont des forces qui ne sont pas quantifiables, pas mesurables. C’est ce qui nourrit la non-priorisation des personnes âgées dans la société : l’hôpital est enfermé dans un modèle de performance économique. »
Si bien que les personnes âgées, elles-mêmes, finissent par intégrer l’âgisme et considèrent elles aussi que leur vie ne vaut plus vraiment la peine d’être vécue. « Le terme central de la vieillesse, c’est la déficience. Il y a certes des déficiences visuelles, auditives, tactiles, olfactives, des problématiques d’équilibre, de chute. Donc la perception de la société, c’est que les personnes âgées sont différentes et diminuées , détaille le gériatre Romain Van Overloop. Pourtant, cognitivement, ces personnes âgées ont toujours 30 ans. Il faut que la société accepte qu’on soit moins endurant, qu’on récupère moins vite : ce corps qui change, qui régresse, doit être soigné comme un autre. » Huguette, elle, après trois mois de péripéties hospitalières, est enfin sortie de l’hôpital, et récupère comme elle peut.
Coline Renault
et pour finir en chanson …