En fait, longtemps, sans en avoir cherché le sens exact, je pensais être “agoraphobe”. Mais non, mon problème, c’est la foule. Je hais la foule. La promiscuité forcée allant jusqu’à l’impression d’enfermement physique. Je supporte un moment et plus ou moins rapidement je sens un mal-aise monter. Il faut que je m’échappe. J’ai chaud. Je tombe. Je hais la foule. Rien de bon ne peut vraiment en sortir. Hier encore, il a fallu qu’un ministre en exercice le rappelle : “«Rien, absolument rien ne justifie qu’on danse sur un cadavre. La mort d’un homme, fût-il un adversaire politique, ne devrait inspirer que de la retenue et de la dignité. Ces scènes de liesse sont tout simplement honteuses». J’imagine la douleur de la famille … j’imagine la vie de ses enfants, marqué au fer rouge par ce nom. Aucun répit, même dans la mort.
Fêter la mort de Jean-Marie Le Pen … le monde est il devenu fou ? Quand cela sera au tour de Jean-Luc Mélenchon, y aura t’il cette foule, cette joie, cette indécence ?
La foule est bête. Laide. Si facilement haineuse et manipulable. Oh je n’ignore pas que l’improbable survienne. La foule peut être amicale, sympathique même. Je l’ai vu une seule fois, dans une sorte de béatitude enfantine pour l’élection d’un président de la république. Mais j’ai trop souvent vu les dérapages, l’ambiance qui se tend, prêt à dégénérer, même pour des moments aussi “étranges” que de se rassembler pour fêter “la nouvelle année”. La foule des stades même …
Je découvre que je suis d’ailleurs pas le seul et c’est Jean Rochefort qui m’a donné le courage de ce billet. Le ministre parlait de retenue et de dignité, lui parle de ce qui manque le plus à notre époque, de tendresse, d’objectivité et de lucidité. Ecoutez le et ré-écoutez le ici, c’est poignant et permet de comprendre … un peu, quand on touche au fond des choses.
Rien ne peut justifier d’arriver à ces inhumanités, en particulier quand on est un “résistant de carton”. Je ne parle pas de ceux qui ayant soufferts dans leur chaire, dans la perte de membres de leur famille, vont se réunir pour fêter la fin d’un dictateur sanguinaire. Je parle de ces bien pensants qui ne sentent même plus la manipulation et qui ont l’indignation à géométrie variable un peu trop facile, au sein d’un pays où ils ne risquent rien.
Comme le disait André Gide, défiez-vous des foules. Il fallait que les choses soient dites :
O Marc Lafargue ! vous dont j’aimais les vers, défiez- vous des foules.
Pour aimer bien chacun, séparez-le de tous.
Réunis, les hommes perdent ce qu’ils ont de précieusement personnel ; ils n’additionnent et ne renforcent que ce qu’ils ont « de même nature » ; il n’y a bientôt plus qu’un total monstrueux.
Vous parlez d’émotions propagées et de contagions admirables… Les maladies seules sont contagieuses, et rien d’exquis ne se propage par contact.
La communion ne s’obtient ici que sur les points les plus communs, les plus grossiers et les plus vils. Sympathiser avec la foule c’est déchoir.
…
Je hais la foule ; elle ne respecte rien ; toute tendresse, toute délicatesse, toute justesse, toute beauté s’y faussent, s’y brisent, s’y mortifient ; houle mobile, inconsciente, sans cesse à la merci du souille d’un tribun qui la mène, quand elle est belle, c’est comme une mer en démence ; quand je l’admire, c’est du balcon — e terra.
Je hais la foule ; ne voyez pas d’orgueil dans mes paroles : quand je suis dans la foule, j’en fais partie, et c’est parce que je sais ce que j’y deviens que je hais la foule.